Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/273

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avortées confirmaient tout ce que le conspirateur avait deviné. L’horrible fascination des histoires de mort, néanmoins, lui faisait rechercher la société des hommes. Il en apprit beaucoup plus qu’il n’y avait compté ; et voici comment. C’était le dernier soir avant que le régiment ne partît pour le front. Les casernes étaient dépouillées de tout objet meublé, et les hommes étaient trop surexcités pour dormir. Les murs nus émettaient un relent d’hôpital, d’hypochlorite de chaux.

— Et dis-moi, Dan, demanda Mulcahy tout bas, en un chuchotement terrifié, après un nouvel entretien sur l’éternel sujet, qu’est-ce que tu vas me faire ?

Ce langage aurait pu à la rigueur passer pour celui d’un conspirateur habile se conciliant une âme faible.

— Tu le verras, fit Dan d’un air sinistre et en se retournant sur sa couchette, ou je devrais plutôt dire tu ne le verras pas.

Ce n’était guère le langage d’une âme faible. Mulcahy trembla sous ses couvertures.

— Va doucement avec lui, lança Egan de la couchette voisine. Il a trouvé sa chance de s’en tirer proprement. Écoute, Mulcahy, tout ce que nous voulons, c’est que pour le bon renom du régiment tu reçoives la mort debout comme un brave. Il va y avoir des tas et des tas d’ennemis… des flopées de tas. Vas-y et fais de ton mieux et meurs proprement. Tu mourras avec un bon renom là-bas. Ce n’est pas une chose dure à envisager.