Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/35

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par cette pluie battante il n’y aurait rien eu à dire, mais Tietjens était une chienne, et donc un animal plus avisé. Je regardai Strickland, m’attendant à le voir la châtier à coups de fouet. Il sourit bizarrement, comme on sourirait après avoir raconté quelque affreuse tragédie domestique.

— Elle a fait cela tout le temps depuis que je suis arrivé ici.

Comme il s’agissait de la chienne de Strickland, je ne dis rien, mais je sentis tout ce que devait éprouver mon ami, à se voir ainsi bafoué. Tietjens prit position devant la fenêtre de ma chambre, sous les bourrasques qui se succédaient, retentissant sur le chaume, et s’éloignaient. Les éclairs éclaboussaient le ciel comme éclabousse un œuf projeté sur une grand’porte ; mais au lieu d’être jaune leur lueur était bleu pâle ; et en regardant par les fentes de mes jalousies de bambou je pouvais voir la grande chienne debout, sans dormir, dans la véranda, ses soies hérissées sur son dos, et ses pattes plantées aussi rigides que les câbles en fil de fer d’un pont suspendu. Dans les très courts intervalles du tonnerre j’essayais de m’endormir, mais il me semblait que quelqu’un avait le plus grand besoin de moi. Ce quelqu’un d’inconnu s’efforçait de m’appeler par mon nom, mais sa voix n’était qu’un murmure confus. Puis le tonnerre cessa, et Tietjens s’en alla dans le jardin, hurler à la lune basse. Quelqu’un tenta d’ouvrir ma porte, et se promena devant et parmi la maison, et s’arrêta dans les vérandas, à soupirer profondément. Au moment précis où j’al-