Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/65

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Là, proche, il rencontra Tallantire.

— Tiens, lui dit-il rudement, en jetant les pièces devant lui, touche-les et rends-les-moi. Ceci te répond de ma bonne conduite. Mais dis-moi, ô sahib, le gouvernement est-il devenu fou, de nous envoyer un noir, un chien de Bengali ? Et vais-je donc, moi, rendre hommage à un homme tel que lui ? Et vas-tu, toi, te laisser commander par lui ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

Tallantire s’attendait à quelque chose de ce genre. Il répondit :

— C’est l’ordre. C’est un sahib très savant.

— Lui, un sahib ! C’est un kala admi (un homme noir) incapable même de courir derrière la queue d’un mulet de potier. Le Bengale a subi tous les peuples de la terre. C’est écrit. Quand nous autres du Nord avions besoin de femmes ou de butin, sais-tu où nous allions ? Au Bengale… évidemment ! Quel conte puéril cette histoire de sahib… après Orde sahib surtout ! En vérité le mullah avait raison.

— Que devient-il ? demanda Tallantire avec inquiétude.

Il se méfiait de ce vieillard aux yeux morts et à la langue dangereuse.

— Eh bien tant pis ! à cause du serment que j’ai juré à Orde sahib quand nous le regardions mourir auprès du fleuve là-bas, je parlerai. En premier lieu, est-il vrai que les Anglais aient posé sur leur propre cou le talon des Bengalis, et que la loi anglaise ait cessé d’exister dans le pays ?