Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/64

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ducation, et ne se souciant pas le moins du monde des grades universitaires, Khoda Dad Khan jugea aussitôt que cet homme était un « babou » — l’employé subalterne indigène du commissaire-délégué — personnage haï et méprisé.

— Heuh, baboudji ! fit-il jovialement. Où est ton maître ?

— C’est moi le commissaire-délégué, dit en anglais le gentleman.

Comme il surestimait les effets des grades universitaires, il regarda fixement au visage Khoda Dad Khan. Mais si dès la plus tendre enfance vous vous êtes accoutumé à voir des combats, des meurtres et de la mort soudaine, si le sang répandu affecte vos nerfs autant que de la couleur rouge, et par-dessus tout si vous avez la ferme persuasion que le Bengali est le serviteur de l’Inde entière, et que l’Inde entière est énormément inférieure à votre propre moi solide et vigoureux, encore qu’inéduqué vous supporterez sans peine d’être regardé longtemps bien en face. C’est même vous qui ferez baisser les yeux à un gradué d’Oxford si ce dernier est né en serre chaude, de race élevée en serre chaude, et craignant la souffrance physique comme certains hommes craignent le péché ; en particulier si la mère de votre antagoniste lui a dans son enfance raconté pour l’endormir d’affreuses histoires de diables habitant l’Afghanistan, et de sinistres légendes sur le Nord. Les yeux embusqués derrière les lunettes d’or se dirigèrent vers le sol. Khoda Dad Khan ricana, et sortit.