Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/93

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du sel, et à son retour il trouva Nurkîd en train de piocher dans le riz avec ses sales doigts de nègre.

Un sérang est un personnage d’importance, très au-dessus d’un chauffeur, bien que ce dernier touche une meilleure paye. C’est lui qui entonne le refrain du « Haya, Hulla ! Hîa ! Heh ! » quand on rehisse aux portemanteaux le youyou du capitaine ; c’est lui aussi qui jette la sonde ; et parfois, quand l’équipage est oisif, il revêt sur sa mousseline la plus blanche une large écharpe rouge, et va sur le gaillard d’arrière jouer avec les enfants des passagers. Alors les passagers lui donnent de l’argent, et il le met de côté pour le dépenser jusqu’au dernier sou en une orgie à Bombay ou Calcutta, ou à Poulo-Penang.

— Ho là ! espèce de gros tonneau de nègre, c’est mon riz que tu manges ! dit Pambé dans cette autre langue franque qui commence où cesse le parler levantin, et s’étend vers l’est au delà de Port-Saïd jusqu’à l’endroit où l’est devient l’ouest, et où les bricks des îles Kouriles qui chassent le veau marin bavardent à l’occasion avec les jonques de Hakodaté.

— Fils d’Éblis, tête de singe, foie de requin séché, homme-cochon, tu sauras que moi, je suis le sultan Seyyid Burgash, et que je commande en chef tout ce navire. Enlève-moi tes détritus.

Et Nurkîd fourra dans la main de Pambé le plat d’étain, vidé de son contenu.

Pambé en coiffa comme d’un bassinet la tête crêpue de Nurkîd. Nurkîd tira de la gaine son coutelas