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Page:Kipling - Le Second Livre de la jungle.djvu/154

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les croque-morts

poussait en avant, entre ses jambes torses, son corps gonflé en forme de baril.

Enfin, il s’arrêta, et, tout habitué que fût le Chacal à ses façons, il ne put s’empêcher, pour la centième fois, de tressaillir en voyant avec quelle exactitude le Mugger prenait l’aspect d’un tronc en dérive arrêté sur la barre de la rivière. Il s’était même donné la peine de choisir l’angle exact qu’un tronc échoué aurait formé avec l’eau, étant donné le courant de la saison, en ce temps et à cette place. Tout cela n’était assurément qu’affaire d’habitude, car le Mugger ne venait de prendre terre que pour son plaisir, mais un crocodile n’est jamais rassasié, et si le Chacal se fût trompé à la ressemblance, il n’eût pas vécu pour philosopher sur ce point.

— Je n’ai rien entendu, mon enfant, dit le Mugger, en fermant un œil. — J’avais de l’eau dans les oreilles, et je mourais de faim. Depuis que le pont du chemin de fer a été construit, mon peuple, dans mon village, a cessé de m’aimer, et cela me brise le cœur.

— Ah ! c’est une honte, dit le Chacal. Un si noble cœur ! Mais tous les hommes se valent à mon avis.

— Non, il existe en vérité de grandes différen-