Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/118

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tempête, s’avançait au soleil sur le pont-levis. Learoyd et Ortheris bondirent d’auprès de moi et l’encadrèrent, tous deux penchés vers lui à l’instar de chevaux sur un timon. En un instant ils eurent disparu dans le chemin creux qui mène aux casernes ; et je demeurai seul. Mulvaney n’avait pas jugé utile de me reconnaître : je sus par là que son malheur devait lui peser lourdement.

J’escaladai l’un des bastions et suivis des yeux les silhouettes des Trois Mousquetaires qui se minusculisaient au loin dans la plaine. Tête basse, ils marchaient aussi vite qu’ils pouvaient mettre un pied devant l’autre. Ils contournèrent l’esplanade par une vaste circonférence, longèrent le champ d’exercices de la cavalerie et s’enfoncèrent dans la ceinture d’arbres qui borde les terrains bas au long de la rivière.

Je les suivis au petit trot et les réaperçus, poudreux et suants, mais soutenant toujours leur allure vive et balancée, sur la berge de la rivière. Ils foncèrent à travers la forêt domaniale et se dirigèrent vers le pont de bateaux, où ils s’établirent enfin sur l’avant de l’un des pontons. Je poussai mon cheval discrètement jusqu’au moment où je vis trois petits nuages de fumée blanche s’élever et s’évanouir dans l’air limpide du soir. Je compris alors que la paix était revenue. Quand j’arrivai à la tête du pont ils