Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/184

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Rania ni à Bahadurghar, et j’entrai par l’ouest dans Delhi, et là non plus je ne le trouvai pas. Mon ami, j’ai vu beaucoup de choses singulières dans mes pérégrinations. J’ai vu des démons se battre par-dessus la Rechna comme des étalons se battent au printemps. J’ai entendu s’interpeller les djinns cachés dans leurs trous de sable, et je les ai vus passer devant ma face. Il n’y a pas de démons, disent les sahibs ? Les sahibs sont très savants, mais ils ne connaissent pas tout ce qui a trait aux démons… ni aux chevaux. Ho ! ho ! Je vous le dis, à vous qui riez de ma misère, j’ai vu en plein midi les démons brailler et cabrioler sur les bancs de sable du Chenab. Et croyez-vous que j’avais peur ? Mon frère, quand le désir d’un homme s’applique à une seule chose, il ne craint ni Dieu ni homme ni démon. Si ma vengeance manquait, j’enfoncerais les portes du paradis avec la crosse de mon fusil, ou je me fraierais un chemin dans l’enfer avec mon couteau, et à ceux qui y gouvernent je réclamerais le corps de Daoud Shah. Quel amour est aussi profond que la haine ?

Ne parlez pas. Je sais ce que vous avez dans le cœur. Est-ce que le blanc de cet œil est troublé ? Le sang bat-il régulièrement à ce poignet ? Il n’y a pas de folie en moi, mais uniquement la véhémence du désir qui m’a dévoré. Écoutez !