Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/189

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pèse sur vos paupières à l’état de veille et vous force à plonger tête baissée dans les travaux quotidiens. Il n’y a pas de poste, il n’y a personne de votre race à qui parler, il n’y a pas de routes : il y a bien, à vrai dire, de la nourriture pour subsister, mais on la mange sans plaisir ; et tout ce que votre vie renferme de bon, de beau ou d’intéressant, doit provenir de vous-même et de la grâce qui peut vous avoir été impartie.

Dans la matinée, avec un bruit mou de pieds nus, les convertis, les hésitants et les francs railleurs arrivent dans la véranda. Il vous faut être avec eux infiniment doux et patient, et, surtout, clairvoyant, car vous avez affaire à l’ingénuité de l’enfance, à l’expérience de l’homme, et à la subtilité du sauvage. Votre congrégation a cent besoins matériels auxquels il faut pourvoir ; et c’est à vous, qui vous en croyez personnellement responsable vis-à-vis de votre Créateur, qu’il appartient d’extraire de cette foule turbulente la parcelle de spiritualité qu’elle peut recéler. Si au soin des âmes vous ajoutez celui des corps, votre tâche n’en sera que plus difficile, car les malades et les infirmes embrasseront n’importe quelle croyance dans l’espoir de guérir, et se moqueront de vous parce que vous avez eu la naïveté de les croire.

À mesure que la journée s’avance et que s’at-