Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/190

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ténue l’élan du matin, va s’abattre sur vous l’accablante perception de l’inanité de vos labeurs. Il faut lutter là contre, et votre seul stimulant sera la croyance que vous disputez au démon la vie des âmes. C’est là une grande, une belle croyance ; mais pour s’y tenir sans vaciller durant vingt-quatre heures consécutives, il faut être doué d’un physique singulièrement robuste et d’un moral équivalent.

Demandez aux têtes chenues de la Croisade médicale Bannockburn quel genre de vie mènent leurs prédicateurs ; adressez-vous à l’Agence Racine de l’Évangile, ces maigres Américains qui se vantent d’aller là où aucun Anglais n’ose les suivre ; faites-vous raconter ses souvenirs par un pasteur de la mission de Tubingue… si vous le pouvez. On vous renverra aux relations imprimées, mais celles-ci ne disent rien des hommes qui ont perdu jeunesse et santé, tout ce qu’on peut perdre en dehors de la foi, dans les pays sauvages ; ni des filles d’Angleterre qui s’en sont allées dans la jungle fiévreuse des monts Panth, et qui y sont mortes, sachant dès le début que cette mort était quasi assurée. Peu de pasteurs vous entretiendront de ces choses, et on ne vous parlera pas davantage de ce jeune David de Saint-Bees, lequel, désigné pour l’œuvre du Seigneur, tomba dans la suprême désolation, et s’en revint à la mission-mère à demi égaré, en s’écriant :