Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/265

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l’homme, car j’étais fort épuisé, et ensemble nous descendîmes le courant — lui mort et moi vivant. Faute de ce secours, j’aurais coulé : le froid me pénétrait dans les moelles, et ma chair détrempée se ratatinait sur mes os. Mais il n’avait pas peur, lui qui avait éprouvé la force du fleuve dans son paroxysme, et je le laissai aller où il voulait. À la fin nous fûmes pris par un courant dérivé qui portait vers la rive droite, et je m’efforçai de l’aider en jouant des pieds. Mais le mort tournoyait pesamment dans le remous, et je craignais qu’une branche ne vînt à le heurter et à le faire couler. Les cimes des tamarins m’effleurèrent les genoux, et je compris par là que nous étions arrivés dans l’inondation par-dessus les champs, et après je me mis debout dans l’eau et trouvai le fond — le sillon d’un champ — et après, le mort s’arrêta sur un tertre, sous un figuier, et je tirai mon corps de l’eau avec joie.

Le sahib devinera-t-il où le remous de la crue m’avait amené ? Au tertre qui forme la limite orientale du village de Pateera. Pas ailleurs. Je tirai le mort jusque sur l’herbe à cause du service qu’il m’avait rendu, et aussi parce que je ne savais pas si je n’aurais plus besoin de lui. Puis je m’en allai, poussant par trois fois le cri du chacal, au lieu de rendez-vous qui était près de l’étable à vaches de la maison du chef. Mais mon aimée était déjà là, toute