Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/264

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que je ne mourrais pas avant de L’avoir revue encore une fois, Mais j’avais très froid, et je sentais que le pont allait céder.

Il y eut un frémissement de l’eau, tel qu’il en survient avant l’arrivée d’une grande vague, et sous la ruée de celle qui survint le pont éleva son flanc, de telle sorte que la claire-voie de droite plongea dans l’eau et que celle de gauche s’éleva en l’air. Par ma barbe, sahib, je dis la vérité de Dieu ! Comme un bateau de pierres de Mirzapore donne de la bande au vent, ainsi le pont de la Bahrwi se retourna. Ainsi, et pas autrement.

Je glissai du parapet dans l’eau profonde, et derrière moi arriva la vague de la rivière en fureur. J’entendis sa voix et le déchirement de la partie médiane du pont quand il s’en alla des piles et s’enfonça, et je ne sus plus rien jusqu’au moment où je revins à la surface au milieu de la grande crue. J’allongeai le bras pour nager, et, horreur ! ma main rencontra la chevelure emmêlée d’une tête d’homme. L’homme était mort, car personne autre que moi, le Fort de la Bahrwi, n’aurait pu survivre dans ce tourbillon. Il était mort depuis deux jours pleins, car il flottait haut, en ballottant, et il me fournit un secours. Je ris donc, sachant avec certitude que je La verrais encore et qu’il ne m’arriverait pas de mal ; et j’entrelaçai mes doigts dans la chevelure de