Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/34

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savais bien fourni d’argent qu’il empruntait aux indigènes, et je savais aussi un tas d’autres choses que je passe sous silence, par respect pour vous, monsieur. De ce que je savais, le colonel en savait un peu, car il ne voulait pas du capitaine, et cela je pense, d’après ce qui est arrivé ensuite, le capitaine le savait.

« Un jour, jour d’ennui mortel, ou sinon ils n’y auraient jamais songé, les officiers du régiment et leurs dames organisèrent une représentation d’amateurs. Vous avez vu ça maintes fois, monsieur, et ce n’est pas drôle pour ceux qui y assistent au dernier rang et qui trépignent des bottes pour soutenir l’honneur du régiment. Je fus désigné pour manœuvrer les décors, hissant par-ci et abaissant par-là. La besogne n’était pas dure, avec des tas de bière et la fille qui habillait les dames des officiers… mais elle est morte à Agra il y a douze ans et j’aurais dû tenir ma langue. On jouait une espèce de pièce appelée Amoureux, dont vous avez peut-être entendu parler, et la fille du colonel faisait une soubrette. Le capitaine faisait un garçon appelé Balai… Grand Balai, c’était son nom dans la pièce. Alors (ça se produisit pendant qu’on jouait) je vis ce que je n’avais pas encore vu, à savoir qu’il n’était pas un honnête homme. Ils étaient beaucoup trop ensemble, tous les deux, à chuchoter derrière