Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/98

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même s’ils se procurent une topette de bière fade, éventée et trouble qu’ils cachent sous leurs lits, peuvent persévérer à boire durant six heures par jour. Quelqu’un a essayé, mais il en est mort, et presque tous les hommes du régiment sont allés à son convoi parce que cela leur faisait une occupation. Il était trop tôt en saison pour qu’on eût l’attrait de la fièvre ou du choléra. Les hommes en étaient réduits à attendre et attendre sans fin, et à suivre les progrès de l’ombre de la caserne sur l’aveuglante poussière blanche. C’était une vie joyeuse.

Ils frôlaient çà et là dans les casernements — car il faisait trop chaud pour n’importe quel jeu, et presque trop chaud pour la débauche — et ils s’ivrognaient dans la soirée, et s’emplissaient à éclater de la saine nourriture azotée qu’on leur fournissait, et plus ils emmagasinaient de calories moins ils prenaient d’exercice et plus ils devenaient irritables. Les humeurs commencèrent bientôt à se gâter, et comme ils n’avaient rien d’autre à penser, les hommes se mirent à méditer sur des injures vraies ou supposées. Le ton des répliques changea, et au lieu de dire avec jovialité : « Je vais te cogner sur le mufle, imbécile ! » les hommes devenaient d’une politesse raffinée et faisaient entendre que la caserne n’était plus assez grande pour eux et leur