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Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/214

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LE CHIEN D’OR

jalouses et croient tout. En ma qualité de servante fidèle, je n’ai pas d’yeux pour épier mon maître ; mais je ne puis m’empêcher de voir qu’il est dans les serres de l’artificieuse Angélique. Puis-je vous dire franchement ce que je pense, madame ?

VI.

Caroline était suspendue aux lèvres de la loquace gouvernante. Elle se leva, donna un coup de peigne à ses cheveux pour les rejeter en arrière, et tout anxieuse s’écria :

— Parles ! parlez, bonne dame ! dites tout ce que vous pensez ! quand même vos paroles devraient me tuer, parlez !

— Oh ! ce que j’ai à vous dire ne vous fera aucun mal, madame, repartit la vieille Tremblay, avec un sourire significatif. Fiez-vous à une femme qui connaissait bien les ruses des hommes, quand elle était la charmante Joséphine !

De ce que le chevalier Intendant admire ou même aime Angélique Des Meloises, il ne s’en suit pas qu’il l’épousera. Ce n’est pas la mode de notre époque. Les hommes adorent la beauté et puis épousent l’argent. Il y a beaucoup plus d’amoureux que de maris, à Québec comme à Paris, à Beaumanoir comme à Versailles, et même au lac Beauport, comme je l’ai appris à mes dépens, quand j’étais la charmante Joséphine !

Caroline devint pourpre ; et elle affirma d’une voix tremblante d’émotion :

— C’est un péché que de profaner l’amour comme cela !

Néanmoins, je le sais, il nous faut, parfois, l’ensevelir au fond de notre cœur, et sans espoir de le voir renaître !

— Parfois ? presque toujours, madame ! Quand j’étais la charmante Joséphine… Écoutez, madame, mon histoire porte son enseignement. Quand j’étais la charmante Joséphine, j’avais commencé par croire que les hommes étaient des anges, envoyés