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Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/85

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le chien d’or

arrêter ainsi pour moi. Ma foi ! je n’ai rien à reprocher au monde si le monde n’a rien à me reprocher. Ma philosophie, c’est que le monde est ce que les hommes le font. Comme dit un vieux refrain :

C’est un endroit plaisant, mes amis, que ce monde.
Si l’on prête, l’on-donne et l’on dépense bien :
Mais s’il faut emprunter, cette machine ronde
Ne vaut plus rien.

— Et que vaut-elle à vos yeux, maître Pothier ? demanda le colonel.

Le notaire semblait le plus heureux des mortels ; sa face ridée était toute souriante ; les yeux, les joues, le menton, les sourcils, tout frémissait de plaisir, autour d’un nez de pourpre. Des enfants allègres autour d’un feu de joie !

— Oh ! je suis content, répondit-il ; nous, les notaires, nous avons le privilège de porter des manteaux bordés d’hermine, au palais de justice, et des robes noires à la campagne… quand nous pouvons en avoir. Voyez !

Et il releva avec dignité les lambeaux de sa robe.

— Pour moi, la profession de notaire, continua-t-il, c’est de manger, boire et dormir. Toutes les portes me sont ouvertes. Il ne se fait pas un baptême, ou une noce, ou un enterrement, sans que j’en sois, dans dix paroisses à la ronde. Les gouverneurs et les intendants fleurissent et tombent, mais Jean Pothier dit Robin, le notaire ambulant, fait toujours joyeuse vie. Les hommes peuvent se passer de pain, mais non de lois, du moins les hommes de cette noble et chicanière Nouvelle-France, notre patrie.

— Votre profession me paraît tout-à-fait nécessaire alors, observa Philibert.

— Nécessaire ? je penserais ! S’il n’avait une nourriture convenable, le monde perdrait vite l’existence, de même qu’Adam a perdu la félicité du Paradis terrestre, faute d’un notaire.