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choix en question… En dernière heure, nous avons aujourd’hui l’espoir que l’Eleison de M. C. Benoit va passer, enfin « à l’ancienneté » [1]. Tout est bien qui finit bien. Mais, selon toute apparence, il méritait mieux.

Bien que la critique musicale n’ai pas repris sa vie officielle, on a lu çà et là d’intéressants articles. J’ai parlé de M. Marnold et de M. V…, dont je partage à peu près les idées. C’est dire ce que je pense des jugements de M. Frédéric Masson, pour qui les Maîtres chanteurs ne sont qu’une « misérable rapsodie » (sic). Il a dépassé les limites qu’on pensait atteintes par M. Camille Bellaigue ( « la musique des Maîtres chanteurs n’est pas seulement ennuyeuse, elle est laide » ). Comme l’écrivait le sage Ponsard : « Quand la borne est franchie… ». En raison de sa célébrité « mondiale », je suppose, c’est M. Saint-Saens (pour- tant bien moins déraisonnable) qui fut le plus violemment pris à partie par ceux qui entendent rester fidèles à l’art wagnérien. Sans passion aveugle, je voudrais exposer quelques remarques sur le « cas Saint-Saëns ». C’est s’abaisser que de lui manquer de respect. Pourquoi découvrir en ses idées étroites l’expression d’un intérêt personnel, voire commercial ? Reproche injuste et grossier : quand donc voudra-t-on croire à la bonne foi, à la conviction sincère des artistes ? Depuis longtemps, M. Saint-Saëns n’aime pas l’esthétique wagnérienne ; c’est son droit. Il s’en est expliqué franchement dans ses Portraits et souvenirs. A l’époque lointaine où il soutenait cette « musique de l’avenir » contre l’incom- préhension du public, il était « emballé » pour ces œuvres qu’il n’avait pas encore pénétrées à fond ; et, dans son zèle de néophyte, il n’en voulait point voir les défauts. Mais le jour que ces défauts lui devinrent évidents fut tout juste- ment celui de l’idolâtrie des mélomanes, enfin convertis à la religion nouvelle. Ne voyons en tout cela ni volte-face, ni trahison. Et si, depuis la guerre, son hostilité s’est encore accentuée, il n’est nul besoin d’y dénoncer la marque d’une ambition vengeresse : la sorte de nationalisme de M. Saint-Saëns et ses théories artistiques suffisent amplement à causer cette attitude intransigeante. Quant à prétendre qu’il demeure ainsi dans le vrai, c’est une autre affaire. Même le patriotisme n’exige pas qu’on proscrive Wagner, et plus d’un brave « poilu », au retour des tranchées, reste avide d’entendre cette musique. — Pour l’avenir prochain, que demeurera-t-il de la triple malédiction Junius-Masson-Saint- Saëns ? Plus qu’on ne le croit, peut-être. Un secret instinct, un tact indéfinis- sable seront causes qu’on attendra sans doute assez longtemps pour reprendre au théâtre, malgré leurs grandes beautés, les Maîtres chanteurs, la Tétralogie, et, qui sait ? Tristan même, et Parsifal. Les germanismes des poèmes et de la mise en scène feront probablement hésiter les directeurs. (Pour Lohengrin et Tannhauser, je l’avoue, je me consolerai plus aisément de leur exil.) Seulement, il me semblerait nous diminuer beaucoup, qu’on ne jouât point au concert — et ceci dès maintenant — du Wagner aussi bien que du Beethoven ou du Schumann. Le prélude de Tristan, celui du troisième acte des Maîtres chanteurs, l’Enchantement du Vendredi Saint, le final de la Valkyrie (j’espère bien qu’on ne dira plus jamais la Walküre, encore moins la « Oualküre » ), renferment une

  1. Grâce aux soins de l’éditeur A. Rouart, qu’il convient, pour ce mérite, de nommer.