Page:Koechlin - La Vie musicale pendant la guerre, 1916.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

musique, jusqu’aux tout jeunes auteurs… En ceci, il est à peine commencé[1]. Tout porte à croire qu’il ne sera pas abandonné : nous ne pouvons qu’y applaudir le mieux du monde.

Vaste entreprise, d’étendre ce projet à la musique de symphonie : ce devrait être désormais le but de nos « grands concerts ». — Actuellement, nous sommes loin de compte. On sait la place restreinte que les « comités » réservent aux jeunes… Aux concerts Colonne et Lamoureux, provisoirement réunis salle Gaveau, le fait le plus saillant fut la rentrée en scène de Beethoven. Sur quoi M. Weingartner triomphe, proclamant que si l’Allemagne, musicalement, se suffit à elle-même, l’on ne saurait à Paris composer des programmes acceptables sans le lest, le poids et le sérieux de l’art germain. Eh bien, non ! ce n’est pas vrai. Méfiants envers nous-mêmes et jobards vis-à-vis de l’étranger, il y a trop longtemps que nos mélomanes accueillent cet injuste préjugé. Nous avons dans notre école des œuvres lourdes, ennuyeuses, scolastiques, propres à « caler » la nef et à forcer l’estime des pédants ignares. Et puis, à côté, nous avons de la vraie musique, charmante ou superbe. De quoi trouver matière à vingt, à trente admirables concerts, exclusivement français (sans oublier Berlioz, notre grand et génial précurseur). Espérons qu’on en fera la preuve après la guerre. En attendant, MM. Chevillard et Pierné ont fait quelque effort. César Franck, Chausson, Magnard, MM. Saint-Saëns, Gedalge, Henri Rabaud, ont eu droit chacun à une symphonie. Et l’on a repris le Prélude à l’Après-midi d’un faune, l’Apprenti sorcier de M. Dukas (qui nous apparaît de plus en plus comme le meilleur poème symphonique de M. Saint-Saëns), et la seconde Suite de M. Ravel d’après son ballet charmant de Daphnis et Chloé.

Seuls, quelques petits concerts (notamment ceux au bénéfice du Foyer franco-belge), remplaçant la Société Nationale, la S. M. I. et les concerts Schmitz, nous ont révélé des œuvres de nos jeunes, si remarquables. Depuis quelques années, chez nous, la musique de chambre s’épanouit d’un vivace et véritable renouveau. C’est le temps où l’on s’écarte définitivement de la a grande route » connue, sûre et monotone, où conduisait trop souvent l’enseignement de la Schola Cantorum. Il faudrait des pages pour parler de ces belles fleurs comme elles le méritent. Citons seulement : le Trio de M. Ravel, la Sonate à deux violons et le Second quatuor de M. D. Milhaud, la Sonatine de M. H. Cliquet, et la très belle Sonate pour piano de Paul Martineau, tout jeune musicien de la plus grande valeur, mort il y a quelques mois à peine. Enfin, n’oublions pas l’audition de « musique française » donnée cet hiver à la salle Gaveau par la Schola Cantorum. On s’efforça d’y prouver la continuité de notre art national et la survivance de ses caractères généraux. L’intérêt particulier de cette séance fut qu’elle révéla au public une importante œuvre chorale, à peu près inconnue (bien qu’elle ne date point d’hier) : l’Eleison de M. Camille Benoît. On en a dit le plus grand bien. Ne l’ayant pas entendu, je ne puis donner mon avis, car ce morceau n’est point édité ! L’âme des éditeurs « a son mystère », et ce mystère est profond ; à lire certaines prétendues « nouveautés » que reçoivent les pro- fesseurs de chant ou de piano, on se demande quel Dieu bizarre préside au

  1. Un acte des Amants de Rimini, de M. Max d’Ollone ; le dernier tableau de Myrialde, de M. Léon Moreau, et Graziella, de M. Mazellier, furent représentés à l’Opéra ; et, plus récemment, un beau Chant de guerre de M. Florent Schmitt.