Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/333

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un ami d’autrefois avec lequel il prit une chambre commune. Je devins jaloux, malade d’amour et de nostalgie. En même temps je repris mes rapports avec les femmes ; mais ce n’est que rarement et avec beaucoup de peine que j’arrivais à accomplir le coït. Je devins terriblement déprimé, et je fus près de devenir fou. Du travail, il n’en était plus question. Je menais une vie insensée et fatigante ; je dépensais des sommes énormes ; je jetais pour ainsi dire l’argent par les fenêtres. Un mois et demi plus tard je tombai malade, et on dut me transporter dans un établissement d’hydrothérapie, où je passai plusieurs mois. Là je me suis ressaisi ; bientôt je devins très aimé de la société ; car je puis être très gai et je trouve beaucoup de plaisir dans la société des dames instruites. Pour la conversation, je préfère les dames mariées aux jeunes demoiselles, mais je suis aussi très gai dans la compagnie des messieurs, à la table de la brasserie et au jeu de quilles.

Je rencontrai, dans l’établissement hydrothérapique, un jeune homme de vingt-neuf ans qui évidemment avait les mêmes prédispositions que moi. Cet homme-là cherchait à se fourrer contre moi, voulait m’embrasser ; mais cela me répugnait beaucoup, bien qu’il m’excitât et que son contact me donnât des érections et même de l’éjaculation. Un soir cet homme me décida à faire de la masturbatio mutua[ws 1]. Je passai ensuite une nuit terrible, sans sommeil ; j’avais un dégoût horrible de cette affaire et je pris la résolution ferme de ne plus jamais pratiquer pareille chose avec un homme. Pendant des jours entiers, je ne pus me tranquilliser. Cela m’épouvantait que cet homme, malgré tout et en dépit de ma volonté, pût m’exciter sexuellement ; d’autre part, j’éprouvais une satisfaction à voir qu’il était amoureux de moi et que, évidemment, il avait à traverser les mêmes luttes que moi. Je sus le tenir à l’écart.

Je me fis inscrire dans diverses Universités ; je fréquentai encore plusieurs établissements hydrothérapiques, obtenant des guérisons momentanées, mais jamais durables. Je m’amourachai encore par-ci par-là d’un ami, mais jamais plus je n’eus une passion aussi violente que celle que j’eus pour l’ami de M… Je n’avais plus de rapports sexuels, ni avec des femmes, car j’en étais incapable, ni avec des hommes, car je n’en avais pas l’occasion, et je m’efforçais de me détourner d’eux. J’ai rencontré encore souvent l’ami de M… ; nous sommes maintenant plus amis que jamais ; sa vue ne m’excite plus, ce dont je suis bien aise. Il en est toujours ainsi ; quand j’ai perdu de vue pour quelque temps une personne

  1. masturbation mutuelle