Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/364

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invités étaient déjà réunis,  – je m’enfermai dans ma chambre ; je pleurai comme un enfant ; je ne voulais pas me marier. Cédant aux persuasions des membres de ma famille auxquels je donnais les raisons les plus futiles, je me laissai traîner en toilette de rue devant l’autel.

Uxor mea nuptiarum tempore menses habuit[ws 1].

Oh ! que j’en rendis grâce à tous les saints ! Aujourd’hui encore je suis convaincu que seule cette circonstance m’a permis d’accomplir plus tard le coït.

J’ignore encore aujourd’hui comment je suis arrivé à pouvoir plus tard faire cet acte avec ma femme et procréer un charmant garçon. Il est ma consolation dans ma vie manquée. Je ne puis que remercier le bon Dieu du bonheur d’avoir un enfant. Ma vie conjugale fut pour ainsi dire une filouterie. Ma femme, que j’estime beaucoup à cause de ses qualités excellentes, ne se doute pas du tout de mon état réel ; seulement elle se plaint souvent de ma froideur. Grâce à sa bonté de cœur et à sa naïveté, il me fut possible de lui faire accroire que l’accomplissement du devoir conjugal ne se fait qu’une fois par mois. Comme elle n’est pas sensuelle et que je trouve toujours une excuse dans ma nervosité, je réussis à la tromper. Le coït est pour moi le plus grand sacrifice qu’on puisse imaginer. Grâce à de fortes libations de vin et en utilisant le matin les érections produites sous l’influence de la réplétion vésicale, je réussis à faire le coït une fois par mois ; mais je n’éprouve aucune volupté ; j’en suis tout affaibli, et le lendemain je sens une aggravation de mes malaises nerveux. Seule la conscience d’avoir rempli mon devoir conjugal envers ma femme, que j’aime du reste, m’est alors un plaisir, une satisfaction morale. Il n’en est pas ainsi avec un homme. Je peux cohabiter avec lui plusieurs fois dans la même nuit, en me sentant toujours dans le rôle de l’homme. J’éprouve alors la plus grande volupté, le bonheur le plus pur, et je m’en sens rasséréné et content. Ces temps derniers, mon penchant pour les hommes s’est un peu relâché. J’ai même eu le courage d’éviter un beau jeune homme qui me faisait la cour. Cela durera-t-il ? Je crains que non. Je ne puis pas du tout me passer de l’amour des hommes ; quand je suis forcé de m’en priver, je me sens abattu, fatigué, misérable, et j’ai alors des douleurs et des congestions à la tête. J’ai toujours compris que ma bizarrerie regrettable est morbide et congénitale ; je m’estimerais heureux si je n’étais pas marié. Je plains ma femme, si bonne et si gentille. Souvent je suis pris de la peur de ne pouvoir plus vivre

  1. ma femme eut ses règles durant le temps des noces