Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/345

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qui, tôt ou tard, viendra s’imposer à nous. De cette expropriation, bien ou mal appliquée, dépendra la réussite définitive ou l’insuccès temporaire de la révolution.

En effet, nul parmi nous ne peut ignorer que toute tentative de Révolution est condamnée d’avance si elle ne répond aux intérêts de la grande majorité et ne trouve moyen de les satisfaire. Il ne suffit pas d’avoir un noble idéal. L’homme ne vit pas seulement de hautes pensées ou de superbes discours, il lui faut aussi du pain : le ventre a plus de droits encore que le cerveau, car c’est lui qui nourrit tout l’organisme. Eh bien ! si le lendemain de la Révolution les masses populaires n’ont que des phrases à leur service, si elles ne reconnaissent pas, par des faits d’une évidence solaire, aveuglante, que la situation s’est transformée à leur avantage, si le renversement n’aboutit qu’à un changement de personnes et de formules, rien ne sera fait. Il ne restera qu’une désillusion de plus. Et de nouveau nous nous mettrons à l’œuvre ingrate de Sisyphe, roulant son éternel rocher !

Pour que la révolution soit autre chose qu’un mot, pour que la réaction ne nous ramène pas dès le lendemain à la situation de la veille, il faut que la conquête du jour vaille la peine d’être défendue ; il faut que le misérable d’hier ne soit plus misérable aujourd’hui. Vous vous rappelez les naïfs républicains de 1848 venant mettre « trois mois de misère au service du gouvernement provisoire ». C’est avec enthousiasme que les trois mois de misère furent acceptés, et l’on ne manqua pas de les payer au temps révolu, mais par les mitraillades et les transportations en masse. Les malheureux avaient espéré que les pé-