Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/61

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s’appliquer constamment à faire triompher la loi, expression de la justice suprême : quelle vocation pourrait être plus belle ! » et vous entrez dans la vie plein de confiance en vous-même, en la vocation que vous avez choisie.

Eh bien, ouvrons au hasard la chronique judiciaire et voyons ce que va vous dire la vie.

Voici un riche propriétaire ; il demande l’expulsion d’un fermier-paysan qui ne paie pas la rente convenue. Au point de vue légal, il n’y a pas d’hésitation possible : puisque le paysan ne paie pas, il faut qu’il s’en aille. Mais si nous analysons les faits, voici ce que nous apprenons. Le propriétaire a toujours dissipé ses rentes en festins joyeux, le paysan a toujours travaillé. Le propriétaire n’a rien fait pour améliorer ses terres, et néanmoins la valeur en a triplé en cinquante ans, grâce à la plus-value donnée au sol par le tracé d’une voie ferrée, par les nouvelles routes vicinales, par le dessèchement des marais, par le défrichage des côtes incultes ; et le paysan qui a contribué pour une large part à donner cette plus-value à la terre, s’est ruiné ; tombé entre les mains des agents d’affaires, perdu de dettes, il ne peut plus payer son propriétaire. La loi, toujours du côté de la propriété, est formelle ; elle donne raison au propriétaire. Mais vous, en qui les fictions juridiques n’ont pas encore tué le sentiment de la justice, que ferez-vous ? Demanderez-vous qu’on jette le fermier sur la grande route — c’est la loi qui l’ordonne, — ou bien demanderez-vous que le propriétaire restitue au fermier toute la part de la plus-value qui est due au travail de celui-ci ? — c’est l’équité qui vous le dicte. — De quel côté vous mettrez-vous ? pour la loi, mais contre la