Page:Kropotkine - Aux jeunes gens, 1904.djvu/31

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répondra avec arrogance : « Allez brouter l’herbe, si vous ne voulez pas travailler pour ce prix-là. » Vous comprendrez alors, que votre patron non seulement cherche à vous tondre comme un mouton, mais qu’il vous considère encore comme de race inférieure ; que, non content de vous tenir dans ses griffes par le salaire, — il aspire encore à faire de vous un esclave, à tous égards. Alors, ou bien vous plierez le dos, vous renoncerez au sentiment de la dignité humaine, et vous finirez par subir toutes les humiliations. Ou bien, le sang vous montera à la tête, vous aurez horreur de la pente sur laquelle vous glissez, vous riposterez et, jeté sur le pavé, vous comprendrez alors que les socialistes ont raison lorsqu’ils disent : « Révolte-toi ! révolte-toi contre l’esclavage économique, car celui-ci est la cause de tous les esclavages ! » Alors vous viendrez prendre votre place dans les rangs des socialistes et vous travaillerez avec eux à l’abolition de tous les esclavages : économique, politique et social.

Quelque jour vous apprendrez l’histoire de la jeune fille, dont autrefois vous aimiez tant le regard franc, la démarche svelte et la parole animée. Après avoir lutté des années contre la misère, elle a quitté son village pour la grande ville. Là, elle savait que la lutte pour l’existence serait dure, mais, du moins, espérait-elle gagner honnêtement son pain. Eh bien, vous savez maintenant le sort qu’elle a eu. Courtisée par un fils de bourgeois, elle s’est laissé engluer par ses belles paroles, elle s’est donnée à lui avec la passion de la jeunesse, pour se voir abandonnée au bout d’un an, un enfant sur les bras. Toujours courageuse, elle n’a cessé de lutter ; mais elle a succombé dans cette lutte inégale contre la faim et le froid et elle a fini par expirer dans on ne sait quel hôpital… Que ferez-vous alors ? Ou bien, vous écarterez tout souvenir gênant par quelques stupides paroles : « Ce n’est ni la première ni la dernière », direz-vous, et un soir on vous entendra dans un café, en compagnie d’autres brutes, offenser la mémoire de la jeune femme par de sales propos. Ou bien, ce souvenir vous remuera le cœur ; vous chercherez à rencontrer le pleutre séduc-