Page:Kropotkine - L'Action anarchiste dans la révolution, 1914.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tant que les ministères existent, la bourse et la patrie ne sont pas en danger.

Ils savent que les élections se font avec de l’argent, des chopes de bière et des fêtes de bienfaisance, et que dans les Chambres les voix s’achètent par des places, des concessions et des vols. Peu importe ! — la loi votée par les élus du peuple, sera traitée par eux de sacrée. On l’éludera, on la violera si elle gêne, mais on fera des discours enflammés sur son caractère divin.

Le président du Conseil et le chef de l’opposition peuvent s’insulter mutuellement dans la Chambre ; mais, le tournoi de paroles fini, ils s’entourent mutuellement de respect : ils sont deux chefs, deux fonctions nécessaires dans l’État. Et si le procureur et l’avocat se lancent des insultes par dessus la tête de l’accusé et se traitent mutuellement (en langage fleuri) de menteur et de coquin, — les discours finis, ils se serrent la main et se félicitent l’un l’autre de leurs péroraisons « palpitantes ». Ce n’est pas hypocrisie, ce n’est pas du savoir vivre. Du fond de son cœur l’avocat admire le procureur et le procureur admire l’avocat ; ils voient l’un dans l’autre quelque chose de supérieur à leurs personnalités : deux fonctions, deux représentants de la justice, du gouvernement, de l’État. Toute leur éducation les a préparés à cette manière de voir qui permet d’étouffer les sentiments humains sous des formules de la loi. Jamais le peuple n’arrivera à cette perfection, et il ferait mieux de ne jamais vouloir s’y essayer.

Une adoration commune, un culte commun unit tous les bourgeois, tous les exploiteurs. Le chef du pouvoir et le chef de l’opposition légale, le pape et l’athée bourgeois adorent également un même dieu, et ce dieu d’autorité réside jusque dans les coins les plus cachés de leurs cerveaux. C’est pourquoi ils restent unis, malgré leurs divisions. Le chef de l’État ne se séparerait du chef de l’opposition et le procureur de l’avocat que le jour où celui-là mettrait en doute l’institution même du parlement, et où l’avocat traiterait le tribunal même en vrai nihiliste, c’est-à-dire nierait son droit à l’exis-