Page:Kropotkine - L'Action anarchiste dans la révolution, 1914.djvu/11

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tence. Alors, mais alors seulement, ils pourraient se séparer. En attendant, ils sont unis pour vouer leurs haines à ceux qui minent la suprématie de l’État et détruisent le respect de l’autorité. Contre ceux-ci ils sont implacables. Et si les bourgeois de l’Europe entière ont voué tant de haines aux travailleurs de la Commune de Paris — c’est qu’ils croyaient voir en eux de vrais révolutionnaires, prêts à jeter par dessus bord l’État, la propriété et le gouvernement représentatif.

On comprend quelle force ce culte commun du pouvoir hiérarchique donne à la bourgeoisie.

Si pourrie qu’elle soit dans les trois-quarts de ses représentants, elle a encore dans son sein un bon quart d’hommes qui tiennent ferme le drapeau de l’État. Âpres à la besogne, appliqués à la tâche aussi bien par leur religion légalitaire que par les appétits de pouvoir, ils travaillent sans relâche à affermir et propager ce culte. Toute une littérature immense, toutes les écoles sans exception, toute la presse sont à leur service, et dans leur jeunesse surtout, ils travaillent sans relâche à combattre toutes les tentatives d’entamer la conception étatiste légalitaire. Et quand des moments de lutte arrivent — tous, les décavés comme les vigoureux, se rangent serrés autour de ce drapeau. Ils savent qu’ils règneront, tant que ce drapeau flottera.

On comprend aussi, combien il est insensé de vouloir ranger la révolution sous ce drapeau, de chercher à amener le peuple, à l’encontre de toutes ses traditions à accepter ce même principe, qui est celui de la domination et de l’exploitation. L’autorité est leur drapeau, et tant que le peuple n’en aura pas un autre, qui sera l’expression de ses tendances de communisme, anti-légalitaires et anti-étatistes, — anti-romaines en un mot — force sera pour lui de se laisser mener et dominer par les autres.

C’est ici surtout que le révolutionnaire doit avoir l’audace de la pensée. Il doit avoir l’audace de rompre entièrement avec la tradition romano-catholique ; il doit avoir le courage de se dire que le peuple a à élaborer lui-même toute l’organisation des sociétés sur des bases de justice réelle, telle que la conçoit le droit commun populaire.