Qu’est-ce qui a permis, en effet, aux bourgeois d’escamoter toutes les révolutions depuis le quinzième siècle ? d’en profiter pour asservir et agrandir leur domination, sur des bases autrement solides que le respect des superstitions religieuses ou le droit de naissance de l’aristocratie ?
— C’est l’État. C’est l’accroissement continuel et l’élargissement des fonctions de l’État, basé sur cette fondation bien plus solide que la religion ou le droit d’héridité — la Loi. Et tant que l’État durera, tant que la Loi restera sacrée aux yeux des peuples, tant que les révolutions à venir travailleront au maintien et à l’élargissement des fonctions de l’État et de la Loi — les bourgeois seront sûrs de conserver le pouvoir et de dominer les masses. Les légistes constituant l’État omnipotent, c’est l’origine de la bourgeoisie, et c’est encore l’État omnipotent qui fait la force actuelle de la bourgeoisie. Par la Loi et l’État les bourgeois se sont saisis du capital, et ils ont constitué leur autorité. Par la Loi et l’État, ils la maintiennent. Par la Loi et l’État, ils promettent encore de réparer les maux qui rongent la société.
En effet, tant que toutes les affaires du pays seront remises à quelques-uns, et que ces affaires auront la complexité inextricable qu’elles ont aujourd’hui — les bourgeois pourront dormir tranquilles. Ce sont eux qui, reprenant la tradition romaine de l’État omniscient, ont créé, élaboré, constitué ce mécanisme : ce sont eux qui en furent les soutiens à travers l’histoire moderne. Ils l’étudient dans leurs universités ; ils le maintiennent dans leurs tribunaux, ils l’enseignent à l’école ; ils le propagent, l’inculquent par la voie de leur presse.
Leur esprit est si bien façonné à la tradition de l’État, que jamais ils ne s’en départissent, même dans leurs rêves d’avenir. Leurs utopies en portent le cachet. Ils ne peuvent rien concevoir, en dehors des principes de l’État romain, concernant la structure de la Société. S’ils rencontrent des institutions, développées en dehors de