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VI


Dans le courant du XVIe siècle, des barbares modernes viennent détruire toute cette civilisation des cités du moyen âge. Ces barbares ne l’anéantissent peut-être pas, mais ils l’arrêtent, du moins, dans sa marche pour deux ou trois siècles. Ils la lancent dans une nouvelle direction.

Ils assujettissent l’individu, ils lui enlèvent toutes ses libertés, ils lui demandent d’oublier les unions qu’il basait autrefois sur la libre initiative et la libre entente. Le but est de niveler la société entière dans une même soumission au maître. Ils détruisent tous les liens entre hommes, en déclarant que l’État et l’Église, seuls, doivent désormais former l’union entre sujets ; que seuls, l’Église et l’État ont mission de veiller aux intérêts industriels, commerciaux, judiciaires, artistiques, passionnels, pour lesquels les hommes du XIIe siècle avaient coutume de s’unir directement.

Et qui sont ces barbares ? — C’est l’État : la Triple-Alliance, enfin constituée, du chef militaire, du juge romain et du prêtre — les trois formant une assurance mutuelle pour la domination, les trois unis dans une même puissance qui commandera au nom des intérêts de la société — et écrasera cette société.

On se demande, naturellement, comment ces nouveaux barbares ont pu avoir raison des communes, jadis si puissantes ? Où ont-ils puisé la force pour la conquête ?

Cette force, ils l’ont trouvé, tout d’abord, au village. Tout comme les communes de la Grèce antique, qui ne surent pas abolir l’esclavage, de même les communes du moyen âge ne surent pas affranchir le paysan du servage, en même temps que le citadin.

Il est vrai que presque partout, au moment de son affranchissement, le citadin — artisan-cultivateur lui-même — avait cherché à entraîner la campagne, à lui aider pour son affranchissement. Pendant deux siècles, les citadins, en Italie, en Espagne, en Allemagne, avaient soutenu une guerre acharnée contre les seigneurs féodaux. Des prodiges d’héroïsme et de persévérance furent déployés par les bourgeois dans cette guerre aux châteaux. Ils se saignaient à blanc pour se rendre maîtres des châteaux du féodalisme et abattre la forêt féodale qui les enveloppait.

Mais ils n’y réussirent qu’à moitié. De guerre lasse, ils conclurent enfin la paix par-dessus la tête du paysan. Ils le livrèrent au seigneur,