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en dehors du territoire conquis par la commune, pour acheter la paix. En Italie, en Allemagne, ils finirent par accepter le seigneur combourgeois, à condition qu’il vînt résider dans la commune. Ailleurs, ils finirent par partager sa domination sur le paysan. Et le seigneur se vengea de ce bas peuple, qu’il haïssait et méprisait, en ensanglantant ses rues par les luttes et la vengeance des familles seigneuriales, qui ne portaient pas leurs différents devant les syndics et juges communaux, mais les décidaient par l’épée, dans la rue, en lançant une partie des communaux contre une autre.

Le seigneur démoralisa aussi la commune par ses largesses, ses intrigues, son train de vie seigneurial, son éducation reçue à la cour de l’évêque ou du roi. Il lui fit épouser ses luttes. Et le bourgeois finit par imiter le seigneur : il devint seigneur à son tour, s’enrichissant lui aussi, du labeur des serfs parqués dans les villages.

Après quoi, le paysan prêta main-forte aux rois, aux empereurs, aux tsars naissants et aux papes quand ils se mirent à construire leurs royaumes et à assujettir les villes. Là où le paysan ne marcha pas sous leurs ordres, il les laissa faire.

C’est à la campagne, dans un château fort, situé au milieu de populations campagnardes, que se constituait lentement la royauté. Au XIIe siècle, elle n’existait que de nom, et nous savons aujourd’hui ce qu’il faut penser des gueux, chefs de petites bandes de brigands qui s’ornaient de ce nom : un nom qui, d’ailleurs — Augustin Thierry l’a si bien démontré — ne voulait pas dire grand’chose à cette époque.

Lentement, par tâtonnements, un baron plus puissant ou plus rusé que les autres réussissait, çà et là, à s’élever au-dessus de ses confrères. L’Église s’empressait de l’appuyer. Et, par la force, la ruse, l’argent, le glaive et le poison en cas de besoin, un de ces barons féodaux grandissait aux dépens des autres. Mais ce ne fut jamais dans aucune des cités libres, qui avaient leur forum bruyant, leur roche Tarpéienne, ou leur fleuve pour les tyrans, que l’autorité royale réussit à se constituer : ce fut dans des villes grandies au sein de la campagne.

Après avoir vainement cherché à constituer cette autorité à Reims ou à Lyon, ce fut Paris, — agglomération de villages et de bourgs entourés de riches campagnes, qui n’avaient pas encore connu la vie des cités libres ; ce fut à Westminster, aux portes de la populeuse cité de Londres ; ce fut dans le Kremlin, bâti au sein de riches villages sur les bords de la Moskva, après avoir échoué à Souzdal et à Vladimir, — mais jamais à Novgorod ou Pskov, à Nuremberg, à Laon ou à Florence — que l’autorité royale fut consolidée.

Les paysans des alentours leur fournissaient le blé, les chevaux et les hommes, et le commerce — royal, non communal — accroissait