Page:Kropotkine - L’Anarchie, sa philosophie, son idéal.djvu/21

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les exploités ! Écrasés par la misère, ne trouvant aucun appui dans les classes aisées, le paysan et l’ouvrier ont simplement laissé faire, quitte à affirmer leurs droits de temps à autre par des jacqueries. Et si tel ouvrier des villes a pu croire un moment que le jour arriverait où l’appropriation personnelle du capital profiterait à tous, en constituant un fonds de richesses au partage desquelles tout le monde serait appelé, cette illusion s’en va aussi comme tant d’autres. L’ouvrier s’aperçoit que déshérité il fut, déshérité il reste ; que pour arracher à ses maîtres la moindre partie des richesses constituées par ses efforts, il doit recourir à la révolte ou à la grève, c’est-à-dire s’imposer les transes de la faim, et affronter l’emprisonnement, si ce n’est s’exposer aux fusillades impériales, royales ou républicaines.

Mais un mal autrement profond du système actuel s’affirme de plus en plus. C’est que dans l’ordre d’appropriation privée, tout ce qui sert à vivre et à produire — le sol, l’habitation, la nourriture et l’instrument de travail, — une fois passé aux mains de quelques-uns, ceux-ci empêchent continuellement de produire ce qui est nécessaire pour donner le bien-être à chacun. Le travailleur sent vaguement que notre puissance technique actuelle pourrait donner à tous un large bien-être, mais il perçoit aussi comment le système capitaliste et l’État empêchent dans toutes les directions de conquérir ce bien-être.

Loin de produire plus qu’il ne faut pour assurer la richesse matérielle, nous ne produisons pas assez. Le paysan, quand il convoite les parcs et les jardins des flibustiers de l’industrie et des panamistes, autour desquels le juge et le gendarme montent la garde,