Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/136

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dans certaines branches spéciales de l’industrie. C’est toujours cette minorité que l’on nous désigne avec orgueil. Mais ce bien-être même — apanage de quelques-uns — leur est-il assuré ? Demain, l’incurie, l’imprévoyance ou l’avidité de leurs maîtres jetteront peut-être ces privilégiés sur le pavé, et ils paieront alors par des mois et des années de gêne ou de misère la période d’aisance dont ils avaient joui. Que d’industries majeures (étoffes, fer, sucre, etc.), sans parler des industries éphémères, n’avons-nous pas vu chômer et languir, tour à tour, soit à la suite de spéculations, soit en conséquence des déplacements naturels du travail, soit enfin par l’effet de la concurrence, suscitée par les capitalistes mêmes ! Toutes les industries principales du tissage et de la mécanique ont passé récemment par cette crise : que dire alors de celles dont le caractère distinctif est la périodicité du chômage !


Que dire encore du prix auquel s’achète le bien-être relatif de quelques catégories d’ouvriers ? Car c’est bien par la ruine de l’agriculture, par l’exploitation éhontée du paysan et par la misère des masses qu’il est obtenu. En regard de cette faible minorité de travailleurs jouissant d’une certaine aisance, combien de millions d’êtres humains vivent au jour le jour, sans salaire assuré, prêts à se porter où on les demandera ; combien de paysans travailleront quatorze heures par jour pour une médiocre pitance ! Le capital dépeuple la campagne, exploite les colonies et les pays dont l’industrie est peu développée ; il condamne l’immense majorité des ouvriers à rester sans éducation technique, médiocres dans leur mé-