Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/164

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reproduire, en ce sens, est encore si imparfait, très souvent faux : presque toujours du sentimentalisme. La force n’y est pas.

Il faut avoir vu en rentrant du travail le coucher du soleil. Il faut avoir été paysan avec le paysan pour en garder les splendeurs dans l’œil.

Il faut avoir été en mer avec le pêcheur, à toute heure du jour et de la nuit, avoir pêché soi-même, lutté contre les flots, bravé la tempête et ressenti, après un rude labeur, la joie de soulever un pesant filet ou la déception de rentrer à vide, pour comprendre la poésie de la pêche. Il faut avoir passé par l’usine, connu les fatigues, les souffrances et aussi les joies du travail créateur, forgé le métal aux fulgurantes lueurs du haut fourneau ; il faut avoir senti vivre la machine pour savoir ce qu’est la force de l’homme et le traduire dans une œuvre d’art. Il faut enfin se plonger dans l’existence populaire pour oser la retracer.

Les œuvres de ces artistes de l’avenir qui auront vécu de la vie du peuple, comme les grands artistes du passé, ne seront pas destinées à la vente. Elles seront partie intégrante d’un tout vivant, qui sans elles ne serait pas, comme elles ne seraient pas sans lui. C’est là qu’on viendra les contempler et que leur fière et sereine beauté produira son bienfaisant effet sur les cœurs et sur les esprits.


L’art, pour se développer, doit être relié à l’industrie par mille degrés intermédiaires, en sorte qu’ils soient pour ainsi dire confondus, comme l’ont si bien et si souvent démontré Ruskin et le grand poète socialiste Morris : tout ce qui entoure l’homme, chez lui, dans la rue, à l’intérieur et à l’extérieur des mo-