Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/173

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Le phalanstère, qui n’est en réalité qu’un immense hôtel, peut plaire aux uns, ou même à tous dans certaines périodes de leur vie, mais la grande masse préfère la vie de famille (de famille de l’avenir, bien entendu). Elle préfère l’appartement isolé, et les Normands et l’Anglo-Saxon vont même jusqu’à préférer la maisonnette de 4, 6 ou 8 chambres, dans laquelle la famille, ou l’agglomération d’amis, peuvent vivre séparément.

Le phalanstère a parfois sa raison d’être — il deviendrait haïssable s’il était la règle générale. L’isolement, alternant avec les heures passées en société, est la règle de la nature humaine. C’est pourquoi, une des plus grandes tortures de la prison est l’impossibilité de s’isoler, de même que l’isolement cellulaire devient torture à son tour, quand il n’alterne pas avec les heures de vie sociale.

Quant aux considérations d’économie que l’on fait valoir quelquefois en faveur du phalanstère, c’est de l’économie d’épicier. La grande économie, la seule raisonnable, c’est de rendre la vie agréable pour tous, parce que l’homme content de sa vie produit infiniment plus que celui qui maudit son entourage[1].

  1. Il paraît que les communistes de la Jeune Icarie ont compris l’importance du libre choix dans les rapports quotidiens en dehors du travail. L’idéal des communistes religieux a toujours été le repas commun ; c’est par le repas commun que les chrétiens de la première époque manifestaient leur adhésion au christianisme. La communion en est encore le dernier vestige. Les jeunes Icariens ont rompu avec cette tradition religieuse. Ils dînent dans un salon commun, mais à de petites tables séparées, auxquelles on se place selon les attractions du moment. Les communistes d’Anama ont chacun leur maison et mangent chez eux, tout en prenant leurs provisions à volonté dans les magasins de la Commune.