Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Donnez-moi le pouvoir, je veux, je peux vous affranchir des misères qui pèsent sur vous ! »

Du berceau au tombeau tous nos agissements sont dirigés par ce principe. Ouvrez n’importe quel livre de sociologie, de jurisprudence, vous y trouverez toujours le gouvernement, son organisation, ses actes, prenant une place si grande que nous nous habituons à croire qu’il n’y a rien en dehors du gouvernement et des hommes d’État.

La même leçon est répétée sur tous les tons par la presse. Des colonnes entières sont consacrées aux débats des parlements, aux intrigues des politiciens ; c’est à peine si la vie quotidienne, immense, d’une nation s’y fait jour dans quelques lignes traitant un sujet économique, à propos d’une loi, ou, dans les faits divers, par l’intermédiaire de la police. Et quand vous lisez ces journaux, vous ne pensez guère au nombre incalculable d’êtres — toute l’humanité, pour ainsi dire — qui grandissent et qui meurent, qui connaissent les douleurs, qui travaillent et consomment, pensent et créent, par-delà ces quelques personnages encombrants que l’on a magnifiés jusqu’à leur faire cacher l’humanité, de leurs ombres, grossies par notre ignorance.


Et cependant, dès qu’on passe de la matière imprimée à la vie même, dès qu’on jette un coup d’œil sur la société, on est frappé de la part infinitésimale qu’y joue le gouvernement. Balzac avait déjà remarqué combien de millions de paysans restent leur vie entière sans rien connaître de l’État, sauf les lourds impôts qu’ils sont forcés de lui payer. Chaque jour des millions de transactions sont faites sans l’intervention du gouvernement, et les plus grosses