Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/90

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en doutons fort, pour notre compte, même dans ces conditions), — elle sera rendue impossible en période révolutionnaire, parce que le besoin de nourrir des millions d’êtres surgira au lendemain de la première prise d’armes. Une révolution politique peut se faire sans que l’industrie soit bouleversée ; mais une révolution dans laquelle le peuple mettra la main sur la propriété amènera inévitablement un arrêt subit des échanges et de la production. Les millions de l’État ne suffiraient pas à salarier les millions de désœuvrés.

Nous ne saurions trop insister sur ce point ; la réorganisation de l’industrie sur de nouvelles bases (et nous montrerons bientôt l’immensité de ce problème), ne se fera pas en quelques jours, et le prolétaire ne pourra pas mettre des années de misère au service des théoriciens du salariat. Pour traverser la période de gêne, il réclamera ce qu’il a toujours réclamé en pareille occurrence : la mise des denrées en commun, — le rationnement.

On aura beau prêcher la patience, le peuple ne patientera plus ; et si toutes les denrées ne sont mises en commun, il pillera les boulangeries.


Si la poussée du peuple n’est pas suffisamment forte, on le fusillera. Pour que le collectivisme puisse expérimenter, il lui faut l’ordre avant tout, la discipline, l’obéissance. Et comme les capitalistes s’apercevront bientôt que faire fusiller le peuple par ceux qui s’appellent révolutionnaires est le meilleur moyen de le dégoûter de la révolution, ils prêteront certainement leur appui aux défenseurs de « l’ordre », même collectivistes. Ils y verront un moyen de les écraser plus tard à leur tour.