Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/21

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Au point de vue économique, la pensée des hommes du Tiers-État n’en était pas moins précise. La bourgeoisie française avait lu et étudié Turgot et Adam Smith, les créateurs de l’économie politique. Elle savait qu’en Angleterre leurs théories étaient déjà appliquées, et elle enviait à ses voisins bourgeois d’outre-Manche leur puissante organisation économique, comme elle leur enviait leur pouvoir politique. Elle rêvait l’appropriation des terres par la bourgeoisie, grande et petite, et l’exploitation des richesses du sol, resté jusque là improductif aux mains des nobles et du clergé. Et elle avait en cela pour alliés les petits bourgeois campagnards, déjà en force dans les villages, avant même que la Révolution n’en multipliât le nombre. Elle entrevoyait déjà le développement rapide de l’industrie et la production des marchandises en grand, à l’aide de la machine, le commerce lointain et l’exportation des produits de l’industrie par delà les océans : les marchés de l’Orient, les grandes entreprises — et les fortunes colossales.

Elle comprenait que pour en arriver là, il fallait d’abord briser les liens qui retenaient le paysan au village. Il fallait qu’il devînt libre de quitter sa chaumière, et qu’il fût forcé de le faire ; qu’il fût amené à émigrer dans les villes, en quête de travail, afin que, changeant de maître, il rapportât de l’or à l’industrie, au lieu des redevances qu’il payait auparavant au seigneur, — très dures pour lui, mais, somme toute, de maigre rapport pour le maître. Il fallait enfin de l’ordre dans les finances de l’État, des impôts plus faciles à payer et plus productifs.

Bref, il fallait ce que les économistes ont appelé la