Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/28

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beaucoup. Ainsi, dans toute cette assemblée d’hommes instruits et rompus aux « affaires » que fut l’Assemblée nationale – hommes de loi, journalistes, commerçants, etc., — il n’y avait que deux ou trois membres légistes qui connussent les droits féodaux, et l’on sait qu’il n’y avait à l’Assemblée que fort peu de représentants des paysans, familiers avec les besoins du village par leur expérience personnelle.

Pour ces diverses raisons, l’idée populaire s’exprimait surtout par de simples négations. — « Brûlons les terriers, où sont consignées les redevances féodales ! À bas les dîmes ! À bas madame Veto ! À la lanterne les aristocrates ! » Mais à qui la terre libre ? À qui l’héritage des aristocrates guillotinés ? À qui la force de l’État qui tombait des mains de M. Veto, mais devenait entre celles de la bourgeoisie une puissance autrement formidable que sous l’ancien régime ?

Ce manque de netteté dans les conceptions du peuple sur ce qu’il pouvait espérer de la Révolution laissa son empreinte sur tout le mouvement. Tandis que la bourgeoisie marchait d’un pied ferme et décidé à la constitution de son pouvoir politique dans un État qu’elle cherchait à modeler à ses intentions, le peuple hésitait. Dans les villes, surtout, il semblait même ne pas trop savoir au début ce qu’il pourrait faire du pouvoir conquis, afin d’en profiter à son avantage. Et lorsque plus tard, les projets de loi agraire et d’égalisation des fortunes commencèrent à se préciser, ils vinrent se heurter contre tous les préjugés sur la propriété, dont ceux-là même étaient imbus, qui avaient épousé sincèrement la cause du peuple.