Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/350

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illicites, d’accaparements, de fraudes, de spoliations ; le peuple est ruiné, et la classe innombrable des indigents est placée entre la crainte de périr de misère et la nécessité de se vendre… Ne craignons pas de le redire, nous sommes plus loin de la liberté que jamais ; car non seulement nous sommes esclaves, mais nous le sommes légalement. »

Sur le théâtre de l’État, les décorations seules ont changé. Ce sont toujours les mêmes acteurs, les mêmes intrigues, les mêmes ressorts. « C’était fatal, continue Marat, puisque les classes inférieures de la nation sont seules à lutter contre les classes élevées. Au moment de l’insurrection, le peuple écrase bien tout par sa masse ; mais quelque avantage qu’il ait d’abord remporté, il finit par succomber devant les conjurés des classes supérieures, pleins de finesse, d’astuce, d’artifices. Les hommes instruits, aisés et intrigants des classes supérieures ont pris d’abord parti contre le despote ; mais ce n’a été que pour se tourner contre le peuple, après s’être entourés de sa confiance et s’être servis de ses forces pour se mettre à la place des ordres privilégiées qu’ils ont proscrits.

« Ainsi, continue Marat, — et ses paroles sont d’or, puisqu’on les dirait écrites aujourd’hui, au vingtième siècle, — ainsi la Révolution n’a été faite et soutenue que par les dernières classes de la société, par les ouvriers, les artisans, les détaillistes, les agriculteurs, par la plèbe, par ces infortunés que la richesse impudente appelle canaille et que l’insolence romaine appelait des prolétaires. Mais ce qu’on n’aurait jamais imaginé, c’est qu’elle s’est faite uniquement en faveur