Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/516

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forcé continuellement de rentrer sous terre, alors que les autres arrivaient au pouvoir. Jusqu’à sa mort, malgré la fièvre qui le rongeait, il ne changea pas son genre de vie. Sa porte restait toujours ouverte pour les hommes du peuple. Il pensait que la dictature aiderait la Révolution à traverser ses crises ; mais jamais il ne chercha la dictature pour lui-même.

Si sanguinaire que fût son langage à l’égard des créatures de la Cour, — surtout au commencement de la Révolution, lorsqu’il disait que si l’on n’abattait pas quelques milliers de têtes il n’y aurait rien de fait et que la Cour écraserait les révolutionnaires, — il eut toujours des ménagements envers ceux qui s’étaient dévoués à la Révolution, alors même qu’ils devenaient à leur tour un obstacle au développement du mouvement. Il comprit dès les premiers jours que la Convention, avec un fort parti girondin dans son sein, ne pourrait pas marcher ; mais il essaya d’abord d’éviter l’épuration violente, et il n’en devint le partisan et l’organisateur que lorsqu’il vit qu’il fallait choisir entre la Gironde et la Révolution. S’il avait vécu, il est probable que la Terreur n’eût pas pris le caractère féroce que lui imprimèrent les hommes du Comité de sûreté générale. On ne s’en serait pas servi pour frapper, d’une part, le parti avancé, les Hébertistes, et d’autre part, les conciliateurs comme Danton[1].

  1. Marat avait raison de dire que les ouvrages qu’il avait publiés au commencement de la Révolution, — Offrande à la Patrie, Plan de Constitution, Législation criminelle, et les cent premiers numéros de l’Ami du peuple étaient pleins « de ménagements, de prudence, de modération, d’amour des hommes, de la liberté, de la justice » (Chèvremont, Marat, t. II, p. 215). — Jaurès, qui a lu Marat avec soin, aura beaucoup contribué à le montrer sous son vrai jour — surtout dans le quatrième volume de son « Histoire de la Révolution ».