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laisser entrer la jeune demoiselle dans le pauvre appartement de l’ami du peuple.

Marat, rongé par la fièvre depuis deux ou trois mois, après la vie de bête fauve traquée qu’il avait menée depuis 1789, était assis dans une baignoire couverte, corrigeant les épreuves de son journal sur une planche mise en travers de la baignoire. C’est là que Charlotte Corday d’Armont frappa l’Ami du Peuple à la poitrine. Il expira sur le champ.

Trois jours plus tard, le 16, un autre ami du peuple, Chalier, était guillotiné par les Girondins à Lyon.

Avec Marat, le peuple perdit son ami le plus dévoué. Les historiens girondins, qui ont haï Marat, l’ont représenté comme un fou sanguinaire qui ne savait même pas ce qu’il voulait. Mais nous savons aujourd’hui comment se font ces réputations. Le fait est qu’aux époques les plus sombres de la Révolution, en 1790 et 1791, lorsqu’il voyait que l’héroïsme du peuple n’avait pas eu raison de la royauté, Marat écrivait en effet qu’il faudrait abattre quelques milliers de tête d’aristocrates pour faire marcher la Révolution. Mais le fond de son esprit n’était nullement sanguinaire. Seulement il aima le peuple, lui et son héroïque compagne, Catherine Évrard[1], d’un amour infiniment plus profond que tous ceux de ses contemporains que la Révolution mit en relief, et il fut fidèle à cet amour.

Dès que la Révolution commença, Marat se mit au

  1. « Une femme divine, touchée de sa situation, lorsqu’il fuyait de cave en cave, avait pris et caché chez elle l’Ami du Peuple, lui avait voué sa fortune, immolé son repos », disait de Catherine Évrard la sœur de Marat, Albertine, dont les paroles sont citées par Michelet.