Page:Kropotkine - La Grande Révolution.djvu/590

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pain et à l’eau — non au figuré, mais en réalité. Et quand il fut assassiné, on trouva que toute la fortune de l’Ami du Peuple était un assignat de vingt-cinq livres.

Plus âgé que la plupart de ses jeunes camarades dans la Révolution, et plus expérimenté qu’eux, Marat sut comprendre les diverses phases de la Révolution, et en prévoir les suivantes, bien mieux que tous ses contemporains. Ce fut le seul, on pourrait dire, des hommes de la Révolution, qui avait réellement la conception et le coup d’œil d’un homme qui voit les choses en grand dans leurs rapports multiples[1]. Qu’il ait eu sa part de vanité, cela s’explique en partie par le fait qu’il fut toujours poursuivi, toujours traqué, même au plus fort de la Révolution, alors que chaque nouvelle phase de la Révolution venait prouver la justesse de ses prévisions. Mais ce sont là des accessoires. Le fond de son esprit était d’avoir compris ce qu’il fallait faire, à chaque moment donné, pour le triomphe de la cause du peuple, le triomphe de la Révolution populaire, non pas d’une Révolution abstraite, théorique.

Cependant, lorsque la Révolution, après l’abolition réelle des droits féodaux, eut à faire encore un pas en avant pour consolider son œuvre ; lorsqu’il s’agit de faire en sorte qu’elle profitât aux couches sociales les plus profondes, en donnant à tous la sécurité de la vie et du travail, Marat ne saisit pas ce qu’il y avait de vrai dans les idées de Jacques Roux, de Varlet, de Cha-

  1. C’est un plaisir de constater que l’étude de l’œuvre de Marat, négligée jusqu’à ce jour, a amené M. Jaurès à parler avec respect de cette qualité de l’esprit du tribun populaire.