Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/13

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nous voyons tout le monde extérieur se refléter en lui.

Cependant ce livre peut-être comparé à Dichtung und Wahrheit de Gœthe : l’auteur cherche à montrer comment s’est développé un esprit remarquable. Il peut l’être aussi aux Confessions de saint Augustin, car il est l’histoire d’une crise intérieure qui correspond à ce qu’autrefois on appelait une « conversion ». En effet, cette crise est le point où tout le livre converge.

En ce moment il n’y a que deux grands Russes qui pensent pour le peuple russe et dont la pensée appartient à l’humanité, Léon Tolstoï et Pierre Kropotkine. Tolstoï nous a souvent conté, sous une forme poétique, certaines périodes de sa vie. Kropotkine nous donne ici, pour la première fois, sans employer, lui, la forme poétique, un rapide aperçu de toute sa carrière.

Quelque radicalement différents que soient ces deux hommes, on peut tracer un parallèle de leurs vies et de leurs conceptions de la vie. Tolstoï est un artiste, Kropotkine est un homme de science ; mais il vint un moment dans la carrière de chacun d’eux où ils ne purent trouver ni l’un ni l’autre la paix dans la continuation de l’œuvre à laquelle ils avaient apporté de grandes qualités innées. Tolstoï fut amené par des considérations religieuses, Kropotkine par des considérations sociales, à abandonner les sentiers suivis par eux jusqu’alors.

Tous deux aiment l’humanité, et ils sont unanimes à condamner sévèrement l’indifférence, le manque de réflexion, la rudesse et la brutalité des classes supérieures, et ils se sentent également attirés vers la vie des opprimés et des maltraités. Tous les deux voient dans le monde plus de lâcheté que de stupidité. Tous deux sont idéalistes et tous deux ont un tempérament de réformateur. Tous deux sont des natures pacifiques, et Kropotkine est le plus pacifique des deux — bien que Tolstoï