Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

différentes de ce qu’elles sont dans l’Europe occidentale que je dois encore m’attarder sur ma vie scolaire. En général nos jeunes gens s’intéressent, même pendant leur séjour au lycée ou à l’école militaire, à un grand nombre de questions sociales, politiques et philosophiques. Il est vrai que de toutes les écoles le corps des Pages était le milieu le moins propre à un tel développement ; mais en ces années de renaissance générale, des idées plus larges pénétraient jusque dans notre milieu et entraînaient quelques-uns d’entre nous, sans cependant nous empêcher de prendre une part très importante aux « représentations à bénéfice » et à toutes sortes d’autres farces.

Lorsque j’étais en quatrième, je m’adonnais tout spécialement à l’histoire, et à l’aide de notes prises durant les leçons — je savais que les étudiants des universités procédaient ainsi — et en les complétant par des lectures, je rédigeai tout un cours d’histoire du moyen âge à mon usage. Mon frère Alexandre m’envoya d’ailleurs le cours d’histoire de Lorenz. L’année suivante la lutte entre le pape Boniface VIII et le pouvoir royal attira mon attention plus particulièrement, et alors l’ambition me vint d’obtenir la faveur d’être admis comme lecteur à la bibliothèque impériale, afin d’étudier à fond cette grande époque. C’était contraire aux règlements de la bibliothèque : on n’admettait pas les élèves des écoles secondaires. Mais notre bon Herr Becker aplanit les voies, et un jour je fus autorisé à pénétrer dans le sanctuaire et à m’asseoir à l’une des petites tables de lecture, sur l’un des sofas de velours rouge qui meublaient alors la salle.

Après avoir étudié quelques manuels et quelques livres de notre bibliothèque, j’en vins bientôt aux sources. Je ne savais pas le latin, mais je découvris une grande abondance de sources originales en vieil allemand et en vieux français. Les archaïsmes du langage et la force d’expression des vieux chroniqueurs français me procurèrent une profonde joie esthétique. Tout un organisme social nouveau et tout un monde de relations complexes