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on nous traitait pour les autres avec plus d’indulgence. Mais la principale cause du succès relatif obtenu à l’école c’est que l’enseignement était rendu aussi concret que possible. Dès que nous avions appris la géométrie élémentaire sur le papier, nous la réapprenions sur le terrain avec des jalons et la chaîne d’arpenteur, puis avec le graphomètre, la boussole et la planchette. Après des exercices aussi concrets, l’astronomie élémentaire n’offrait pas de difficultés, et l’arpentage lui-même était une source intarissable de plaisir.

Le même système d’enseignement concret était appliqué à la fortification. En hiver nous résolvions, par exemple, des problèmes comme le suivant : « Vous avez mille hommes et vous disposez de quinze jours. Bâtissez la fortification la plus solide possible pour défendre ce pont qui doit servir à une armée en retraite. » Et nous discutions avec chaleur nos plans avec le professeur quand il en faisait la critique. En été nous appliquions les théories sur le terrain. C’est à ces exercices pratiques et concrets que j’attribue entièrement la facilité avec laquelle la plupart d’entre nous assimilions à l’âge de dix-sept et dix-huit ans des connaissances aussi variées.

Malgré tout ce travail nous avions beaucoup de temps pour nous amuser. Nos jours les plus joyeux, c’était après la fin des examens, quand nous avions trois ou quatre semaines de liberté complète avant d’aller au camp et que nous avions encore trois semaines de liberté complète avant de reprendre nos leçons. Un petit nombre d’entre nous restaient alors à l’école, et il leur était permis pendant les vacances de sortir comme ils voulaient, l’école leur offrant toujours le lit et la nourriture. Je travaillais alors dans la bibliothèque, ou je visitais les galeries de tableaux de l’Hermitage, étudiant un à un les chefs-d’œuvre de chaque école ; ou bien encore j’allais voir dans les manufactures et les usines impériales ouvertes au public, la fabrication des cartes à jouer, du coton, la préparation du fer, de la porcelaine et du verre. Parfois nous faisons