Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/147

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avions, nous aussi, à faire l’impossible pendant nos expéditions scientifiques !

Cependant nous consacrions relativement peu de temps aux exercices militaires et aux manœuvres durant notre séjour au camp. Nous étions le plus souvent occupés à des travaux pratiques d’arpentage et de fortification. Après quelques exercices préliminaires, on nous donnait une boussole à réflexion et on nous disait : « Faites le plan, par exemple, de ce lac, ou de ces routes, ou de ce parc, en mesurant les angles avec la boussole et les distances au pas. » Et de très grand matin, après un déjeuner pris à la hâte, le jeune homme remplissait ses vastes poches de tranches de pain de seigle, et il restait quatre ou cinq heures dans les parcs, parcourant des kilomètres, dressant la carte des belles routes ombreuses, des ruisseaux et des lacs. Son travail était ensuite comparé avec de bonnes cartes et on récompensait les élèves en leur donnant, à leur choix, des instruments d’optique ou de dessin. Pour moi, ces exercices d’arpentage étaient une source profonde de plaisir. Ce travail indépendant, cet isolement sous les arbres séculaires, cette vie de la forêt que je pouvais goûter à loisir, et en même temps l’intérêt du travail, — tout cela laissa dans mon esprit des traces profondes, et si plus tard je devins explorateur en Sibérie, et si plusieurs de mes camarades firent des explorations dans l’Asie centrale, ces exercices d’arpentage en furent des causes déterminantes.

Enfin, lorsque nous fûmes dans la dernière classe, tous les deux jours on emmenait des groupes de quatre élèves dans des villages situés à une distance considérable du camp, et là, ils avaient à faire des levés de plan de plusieurs kilomètres carrés à l’aide de la planchette et de la lunette. De temps en temps des officiers d’état-major venaient contrôler leur travail et leur donner des conseils. Cette vie au milieu des villageois exerça la meilleure influence sur le développement intellectuel et moral d’un grand nombre d’élèves.