Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/15

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des grands-ducs, et la vie dans la pauvreté, avec le prolétariat, à Londres et en Suisse. Il y a des changements de costume comme dans un drame, l’acteur principal ayant à se présenter pendant le jour en beaux habits au Palais d’hiver, et le soir vêtu en paysan pour prêcher la révolution dans les faubourgs. Et on trouve aussi l’élément sensationnel qui appartient au roman. Bien que nul ne puisse être plus simple dans le ton et dans le style que Kropotkine, il est des parties de son récit qui, par suite même de la nature même des événements qu’il a à relater, sont beaucoup plus saisissantes que tout ce qu’on trouve dans les romans dont le seul but est d’être sensationnels. Y a-t-il quelque chose d’un intérêt plus palpitant que le récit des préparatifs de l’évasion de la forteresse de Saint-Pierre et Saint-Paul et de l’audacieuse exécution du plan ?

Peu d’hommes ont connu comme Kropotkine toutes les couches de la société pour y avoir vécu. Quels tableaux ! Voici Kropotkine enfant, les cheveux frisés, vêtu d’un travestissement, debout près de l’empereur Nicolas ; le voici page, courant après l’empereur Alexandre pour le protéger contre les dangers ; le voici dans une prison terrible, qui éconduit le grand-duc Nicolas, ou qui entend les paroles de jour en jour plus insensées d’un paysan qui, enfermé dans une cellule au-dessous de lui, perd peu à peu la raison.

Il a vécu la vie de l’aristocrate et celle de l’ouvrier ; il a été page de l’empereur et il a été un écrivain bien pauvre ; il a vécu la vie de l’étudiant, de l’officier, de l’homme de science, de l’explorateur de pays inconnus, de l’administrateur et du révolutionnaire banni. En exil il a dû parfois vivre de pain et de thé comme un paysan russe ; et il a été exposé à l’espionnage et aux tentatives d’assassinat comme un empereur de Russie.