Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/173

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et souvent il traitait ses courtisans de la façon la plus dédaigneuse. Ce n’était pas un homme sur qui l’on pût compter, ni dans sa politique, ni dans ses sympathies personnelles, et il était vindicatif. Je doute qu’il fût sincèrement attaché à personne. Quelques-uns des hommes qui le touchaient de plus près étaient des moins sympathiques — le comte Adlerberg, par exemple, qui lui faisait toujours de nouveau payer ses dettes énormes, et quelques autres, célèbres par leurs vols monstrueux. Dès 1862 on put voir que sous Alexandre II les pires errements du règne de son père pourraient se reproduire. On savait qu’il désirait encore accomplir une série d’importantes réformes dans l’organisation juridique et dans l’armée, qu’il était sur le point d’abolir les terribles châtiments corporels, et qu’il accorderait une espèce de self-government local et peut-être même une constitution. Mais le plus petit trouble était par ses ordres réprimé avec la plus impitoyable sévérité ; il considérait tout mouvement populaire comme une injure personnelle, de sorte qu’à tout moment on pouvait attendre de lui les mesures les plus réactionnaires.

Les désordres qui se produisirent dans les universités de Pétersbourg, de Moscou et de Kazan, en octobre 1861, furent réprimés avec une dureté plus grande que jamais. L’université de Pétersbourg fut fermée, et quoique la plupart des professeurs eussent ouvert des cours libres à la Maison de Ville, ces cours furent bientôt fermés également, et les meilleurs professeurs quittèrent l’université. Immédiatement après l’abolition du servage, commença un grand mouvement en faveur de la création d’écoles du dimanche ; partout des particuliers et des associations en ouvraient ; tous les maîtres enseignaient sans être rétribués et les paysans et les ouvriers, les vieux comme les jeunes, arrivaient en foule. Des officiers, des étudiants, même quelques pages se faisaient professeurs dans ces écoles ; et on employait de si excellentes méthodes que nous réussissions — le russe ayant une orthographe phonétique — à apprendre à lire à un