Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/174

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paysan en neuf ou dix leçons. Mais tout à coup on ferma toutes les écoles du dimanche, où la masse des paysans aurait, sans qu’il en résultât la moindre dépense pour l’État, appris à lire en quelques années. En Pologne, où une série de manifestations patriotiques avaient eu lieu, on envoya les Cosaques pour disperser les rassemblements à coups de fouet et pour arrêter avec leur brutalité ordinaire des centaines de personnes dans les églises. On tua des hommes à coups de fusil dans les rues de Varsovie vers la fin de 1861, et pour réprimer les quelques insurrections paysannes qui éclatèrent alors on eut recours à l’horrible châtiment favori de Nicolas Ier : on faisait passer les condamnés sous les bâtons à travers une double rangée de soldats. Dès 1862 on pouvait deviner dans Alexandre II le bourreau qu’il fut plus tard, de 1870 à 1881.

De tous les membres de la famille impériale, Marie Alexandrovna était sans conteste la plus sympathique. Elle était sincère et quand elle disait quelque chose d’agréable, elle le pensait. La façon dont elle me remercia une fois d’une petite attention que j’avais eue pour elle (elle venait de recevoir l’ambassadeur des États-Unis qui arrivait à Pétersbourg) me causa une vive impression. Son attitude montrait qu’elle n’était point gâtée par de fréquentes marques de politesse comme on aurait pu pourtant le supposer d’une impératrice. L’empereur ne la rendait certainement pas heureuse. Elle n’était pas aimée non plus par les dames de la Cour qui la trouvaient trop sévère et ne pouvaient comprendre pourquoi elle prenait tant à cœur les étourderies de son mari. On sait aujourd’hui qu’elle joua un rôle assez important dans la question de l’abolition du servage. Mais à cette époque son influence dans ce sens semble avoir été peu connue, car le grand-duc Constantin et la grande-duchesse Hélène Pavlovna, qui était le principal soutien de Nicolas Miloutine à la cour, étaient considérés comme les chefs du parti réformiste dans les sphères du gouvernement. Ce qu’on connaissait mieux c’était la