Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/182

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de construction. Ce labyrinthe de petites échoppes et les chantiers situés à l’opposite prirent feu presque au même moment, à quatre heures de l’après-midi.

S’il avait fait du vent ce jour-là, la moitié de la ville serait devenue la proie des flammes : la Banque, plusieurs ministères, le Gostinoï Dvor — autre grande agglomération de boutiques sur la « Perspective Nevsky » — le Corps des Pages et la Bibliothèque nationale auraient été détruits.

Cette après-midi-là, j’étais au corps, je dînais chez un de nos officiers. Nous nous précipitâmes vers le lieu du sinistre, dès que nous vîmes par les fenêtres les premiers nuages de fumée s’élever dans notre voisinage immédiat. Le spectacle était terrifiant. Comme un immense serpent, au milieu de sifflements et de pétillements, l’incendie progressait dans toutes les directions, à droite, à gauche, enveloppait les boutiques, et tout à coup, la flamme s’élevait en une énorme colonne, puis dardait en sifflant ses langues ardentes qui venaient dévorer de nouvelles boutiques avec leur contenu. Des tourbillons de fumée et de flammes se formaient, et lorsque les plumes enflammées des boutiques de literie commencèrent à tournoyer au-dessus de la grande place, il fut impossible de rester plus longtemps sur ce marché en feu. Il fallait tout abandonner.

Les autorités avaient entièrement perdu la tête. Il n’y avait pas, à cette époque, une seule pompe à vapeur à Pétersbourg, et ce furent des ouvriers qui eurent l’idée d’en faire venir une des fonderies de Kolpino situées à trente kilomètres de la capitale, sur la ligne de chemin de fer. Quand la pompe arriva en gare, ce fut la foule qui la traîna sur le lieu de l’incendie. De ses quatre tuyaux, l’un avait été endommagé par une main inconnue et les trois autres furent dirigées sur le ministère de l’Intérieur.

Les grands-duc vinrent, puis repartirent. A une heure assez avancée, l’empereur fit aussi une apparition et dit, ce que chacun savait déjà, que le