Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/198

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le Kamtchatka ! Là il pouvait piller les habitants en dehors de tout contrôle, et c’est aussi ce qu’il fit. Quelques années plus tard il revint à Pétersbourg : il était riche. Les articles que de temps en temps il publie dans la presse réactionnaire sont, comme on doit s’y attendre, conçus dans un esprit on ne peut plus « patriotique ».

Comme je l’ai déjà dit, le mouvement de réaction n’avait pas alors atteint la Sibérie, et les déportés politiques continuaient à être traités avec toute la douceur possible, comme au temps de Mouraviev. En 1861, lorsque le poète Mikhaïlov fut condamné aux travaux forcés pour avoir publié un manifeste révolutionnaire et fut envoyé en Sibérie, le gouverneur de la première ville sibérienne qu’il traversa, Tobolsk, donna en son honneur un dîner auquel prirent part tous les fonctionnaires. Dans la Transbaïkalie on ne le fit pas travailler, mais on lui permit officiellement de séjourner dans la prison-hôpital d’un petit village minier. Sa santé étant très mauvaise — car il était atteint de phtisie et mourut quelques années plus tard — le général Koukel lui permit d’habiter la maison de son frère, un ingénieur des mines qui avait loué à la Couronne une mine pour l’exploiter à son propre compte. Cela n’était pas officiel, mais toute la Sibérie orientale le savait. Mais un jour nous apprîmes d’Irkoutsk que, à la suite d’une dénonciation secrète, le général de gendarmes (de la police d’État) était en route pour Tchita où il venait faire une enquête sérieuse sur cette affaire. Un aide de camp du gouverneur-général nous en apporta la nouvelle. Je fus dépêché en grande hâte pour avertir Mikhaïlov, et pour lui dire de retourner immédiatement à la prison-hôpital, pendant qu’on retenait le général de gendarmes à Tchita. Comme ce monsieur gagnait toutes les nuits des sommes considérables au tapis vert chez Koukel, il résolut bientôt de ne pas échanger cet agréable passe-temps contre un long voyage aux mines par une température de quelques degrés au-dessous du point de congélation