Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/224

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Les routes couvertes de neige sont excellentes, et, bien que le froid soit terrible, on peut très bien le supporter. Couché de toute sa longueur dans le traîneau — comme chacun fait en Sibérie — enveloppé dans des couvertures fourrées en dedans et en dehors, on ne souffre pas trop du froid, même quand la température est de 40 ou 50 degrés centigrades au-dessous de zéro. Voyageant à la façon des courriers — c’est-à-dire en changeant de cheval à chaque station et ne m’arrêtant qu’une heure par jour pour prendre un repas — j’arrivai à Irkoutsk dix-neuf jours après avoir quitté Pétersbourg. En pareil cas la vitesse moyenne est de 330 kilomètres par jour, et je me souviens d’avoir couvert les 1100 derniers kilomètres avant Irkoutsk en 70 heures. Le froid n’était pas rigoureux, les routes étaient dans un excellent état, les postillons étaient toujours de bonne humeur grâce aux pourboires que je leur donnais, et l’attelage de trois petits chevaux fort légers semblait prendre plaisir à courir rapidement par monts et par vaux, à franchir des rivières durcies par le gel et à traverser des forêts dont la parure argentée brillait aux rayons du soleil.

J’étais maintenant nommé attaché au gouverneur-général de la Sibérie orientale pour les affaires des Cosaques, et je devais résider à Irkoutsk. Mais il n’y avait pas grand’chose à faire. Laisser tout marcher selon la routine, et ne plus parler de réformes, tel était le mot d’ordre venu de Pétersbourg. J’acceptai donc avec plaisir la proposition d’entreprendre une exploration géographique en Mandchourie.